Vous n’êtes pas sans savoir que la musique possède différents pouvoirs. Celui de rassembler, de convaincre ou encore d’apaiser. Nous autres, simples disciples, sommes soumis à son influence et nous ne pouvant rien y faire. Derrière tout ça, les designers sonores, véritables horlogers du son semblent être les seuls à pouvoir la maîtriser. A travers le phénomène de l’ASMR et de son projet Infrasonge ASMR, Jonathan Fitas, designer sonore français, nous parle d’un état d’hypnose ou de bien être qui s’explique difficilement mais se ressent de façon tellement intense.

Merci Jonathan de répondre à quelques questions. Tout d’abord, explique nous ce principe, l’ASMR.
ASMR est un acronyme pour Autonomous Sensory Meridian Response qui n’a pas beaucoup plus de sens en anglais qu’en français. Il décrit un phénomène qui se caractérise par une réponse physiologique de plaisir caractéristique souvent décrit comme des picotements parcourant le corps et démarrant souvent au niveau de la tête lié à un stimulus qui peut prendre de multiples formes, visuel, tactile ou auditif et se produit notamment lorsque le spectateur se trouve dans une situation agréable, par exemple lorsqu’il est le sujet d’une marque d’attention ou qu’il assiste à une action méticuleuse et calme. La comparaison est souvent faite avec le phénomène du “frisson” en musique, cette réponse physiologique de plaisir à un moment musical particulièrement intense ou émouvant et qui serait lié à une sécrétion de dopamine. Même si les sensations ressenties ainsi que le contexte de ces deux phénomènes diffèrent , il est vraisemblable qu’il y ait des connexions qui puissent être faites entre les deux phénomènes.

A quel moment nous avons commencé à en parler ?
Une communauté s’est créée autour de ce phénomène qui remonte aussi loin que l’on puisse le dater à 2007 avec des premiers questionnements sur des forums à propos de la sensation. C’est en 2009 que se crée la première chaîne Youtube consacrée intégralement à des chuchotements et c’est un an plus tard que le terme ASMR fait son apparition pour la première fois. Depuis, plusieurs dizaines de chaînes se sont développées sur YouTube, principalement aux États-Unis, suivies par des centaines de milliers de personnes à l’heure actuelle et proposant des contenus visant à recréer cette sensation de bien être, soit à travers des mise en scènes ( roleplay ) ou en mettant en avant un ou plusieurs types de sons. En France, les créateurs sont plus rares et le relais dans les médias est beaucoup plus faible. Pour le moment…

“Cette pratique place l’écoute au centre de l’expérience”

En tant que sound designer, qu’est-ce qui t’a poussé à t’intéresser à ce sujet si particulier ?
Mon premier contact avec les contenus ASMR s’est fait à l’occasion de mon mémoire de master . Ce que j’ai tout de suite trouvé fascinant à travers ces créations, hormis le lien entre le son et le plaisir qui est une thématique qui me tient à coeur, c’est surtout la place que l’écoute occupe dans ce type de vidéos. Cette pratique place l’écoute au centre de l’expérience et elle utilise des techniques de création sonore comme la technique binaurale qui permet une restitution de l’espace très fidèle au casque qui est autrement assez inconnue du grand public hormis dans des contextes de créations expérimentales. A titre personnel, les sons qui reviennent beaucoup dans les créations ASMR comme les crépitements, les vrombissements et autres m’ont toujours beaucoup fasciné, bien avant d’avoir vent de ce mouvement. Du coup, c’est assez naturellement que j’ai voulu m’essayer au genre.

Les murmures semblent être l’ingrédient fondamental pour réaliser une composition ASMR. On a l’impression que c’est eux qui sont à l’origine de cette sensation de plaisir étrange. Est-ce que cela a un lien avec la fréquence du son ?
Difficile à dire, en tout cas la plupart des sons utilisés dans ces créations touchent à l’intime soit par leur nature (par exemple dans le cas des chuchotements) ou par la manière dont ils sont captés, très proche du microphone, d’une certaine manière comme au creux de l’oreille, donc dans une proximité touchant à l’intime. Je me suis beaucoup penché sur la question et sur l’idée qu’il y aurait un type bien particulier de son qui serait en cause dans ce phénomène mais la conclusion de mes réflexions est que cela se joue avant tout dans la transmission, du créateur à l’auditeur et dans la faculté d’écoute et de projection de l’auditeur plus que dans le son lui même. En regardant la diversité des contenus proposés, il est difficile de trouver de réelles constantes, même si en effet, certains sons sont souvent mis en avant, comme les chuchotements, les tapotements, les craquèlements doux, les sons de cheveux frottés ou brossés. La seule véritable constante de ces vidéos à mes yeux se trouve surtout dans le geste et dans la manière dont ces sons sont partagés, avec beaucoup d’attention et de bienveillance. Et c’est dans un équilibre très fragile entre tout ces éléments que se joue d’après moi le phénomène.

“Ma volonté à travers ce projet est de créer un contenu cohérent où la transition entre le sonore et le musical se fait de la manière la plus naturelle possible.”

J’aime beaucoup la manière dont le projet évolue au fil des vidéos. L’ASMR semble s’être construit une réputation autour du son, des murmures mais on remarque que tu intègres de plus en plus de compositions musicales. Est-ce que c’est un élément susceptible de te différencie des autres ?
C’est vrai qu’il existe encore peu de créations mélangeant l’ASMR à d’autres genre. J’essaye en tout cas de développer des créations expérimentant autour de ce que j’apprécie de la création musicale et celui de la création sonore. Ma volonté à travers ce projet est de créer un contenu cohérent où la transition entre le sonore et le musical se fait de la manière la plus naturelle possible. Par exemple pour ma création “Picture in a Dusty Box”, j’ai voulu travailler sur la spatialisation d’éléments musicaux en binaural et en particulier de disposer les pistes de violons de telles manières qu’elles semblent tourner autour de l’auditeur s’il écoute avec un casque. Ce sont des pratiques qui se retrouvent rarement dans la création musicale traditionnelle. Je cherche vraiment l’échange qu’il peut y avoir entre ces deux mondes.

Penses tu que ce genre d’expérience soit applicable pour le Live ? Existe-t-il déjà des représentations d’ASMR ?
Pas à ma connaissance, mais c’est en tout cas un projet sur lequel je travaille actuellement et que j’aimerais beaucoup mettre en oeuvre, sous la forme d’une installation ou d’une performance. Je suis en tout cas persuadé qu’il y a des choses à créer à ce niveau là.

Qu’est-ce qu’on te souhaite pour la suite de ton projet ?
De réussir à mener à bien des initiatives comme celles citées au dessus, auprès de galeries ou de musées par exemple et puis de fédérer davantage de monde autour de ces créations. Les retours jusqu’à présent ont été extrêmement positifs et j’espère que cela continuera dans ce sens. Dans tout les cas c’est un projet qui me permet de mener mes propres expériences sonores pendant mon temps libre, de m’aventurer sur des terrains que je n’ai bien souvent pas l’habitude de fréquenter dans mes autres activités et j’espère avant tout continuer à prendre du plaisir à les mener à bien !

[Tweet “ASMR : un phénomène qui se caractérise par une réponse physiologique de plaisir #designsonore”]

Pour avoir découvert ce phénomène de manière totalement hasardeuse, je me suis laissé convaincre par sa capacité à appaiser. J’espère qu’en écoutant les compositions de Jonathan, le casque sur vos oreilles, l’effet anti bruit pour les plus équipés d’entre vous, vous vous rendrez compte de l’influence que peut avoir le son sur votre état. Si cette première vidéo vous a déjà convaincu, suivez le projet de Jonathan Fitas sur sa page Youtube et sur Twitter